La vie quotidienne de la personne handicapée

Lorsque le handicap entre dans la famille, le « long fleuve tranquille » de la vie devient un « long torrent » dont on ne voit pas la fin cachée par les fleurs, les rochers et le relief.

Notre fils Jérémy présente le syndrome X fragile, un handicap mental génétique et héréditaire, dit modéré à sévère, avec des troubles du comportement. Aujourd’hui, il est adulte (23 ans) et il travaille dans un SAJA en « article 29 ». Malgré ce handicap, nous avons toujours l’espoir qu’il développe des compétences nouvelles grâce à ses expériences personnelles et sa recherche d’autonomie.

Après un essai en intégration scolaire relativement pénible pour nous, il a fréquenté l’enseignement spécialisé de type 2 au niveau de fondamental et de la forme 2 au secondaire jusque 21 ans. Après ce fut le retour pendant un an sous le toit familial avant de pouvoir obtenir un « travail » de type « Article 29 » dans un SAJA (Service d’Accueil de Jour pour Adultes) où son activité est centrée sur la fourniture de « Bois de chauffage » (coupe, fende de buches, livraison).

Si son activité professionnelle nécessite toujours un encadrement continu et des repères à tous les niveaux, notre fils évolue et prend de l’assurance dans sa façon d’être. De nombreux projets pédagogiques suivis parallèlement à sa scolarité spécialisée lui ont permis d’expérimenter les notions d’autonomie et d’autodétermination avec un encadrement allégé mais toujours présent. Néanmoins, il n’est pas aussi autonome qu’un autre adulte de son âge mais il se débrouille bien ; par contre, au niveau de l’autodétermination, il peut signifier son choix et affirmer un « oui » ou un « non« .


Sur le plan socioprofessionnel
, la situation de Jérémy reste en transition dans le SAJA puisqu’il est inscrit en tant que « article 29 » (statut transitoire) à raison de 4 jours par semaine. Là, il s’épanouit grâce à sa bonne intégration dans une « équipe » de travailleurs encadrée par deux éducateurs en charge du service « Bois de chauffage ». Cette occupation a vraiment changé sa vie après l’école, elle lui a permis d’atteindre une confiance en lui et devenir un adulte plus autonome et déterminé.


Sur le plan social
, Jérémy ne supporterait pas d’être « enfermé » dans la maison familiale et limité à des activités domestiques. Briser la solitude, développer le sens social et découvrir de nouveaux horizons, … sont des préoccupations importantes pour construire l’avenir et développer un réseau social autour de soi. Sa participation à des activités socioculturelles et ludiques avec plusieurs autres associations de personnes handicapées ou non favorise une forme de mixité sociale sujette à promouvoir son autonomie, son autodétermination et son intégration sociale. De ce côté-là, nous sommes assez satisfaits de ce qui est mis en place car cela montre une évolution rassurante bien que trop lente, rendant ainsi l’avenir encore incertain !


Sur le plan cognitif
, l’évolution semble « plafonner » même si il développe des potentialités et qu’il acquiert plus d’autonomie. L’écriture, la lecture et le calcul resteront un voeu pieux avec peu d’espoir de les atteindre réellement. Il est nécessaire d’apprendre des stratégies pour pallier cette lacune.


Sur le plan social
, des réponses adaptées aux besoins relationnels et affectifs en fonction de l’âge sont nécessaires pour avoir une place dans la communauté. Ces relations sociales font partie des préoccupations de chacun de nous, bien que différentes, elles sont relativement similaires et méritent une analyse sur l’accompagnement que procurent les associations et les professionnels dans le cadre des activités socioculturelles adaptées ou des alternatives possibles en lien avec les besoins et les capacités de la personne handicapée.


Au quotidien
, la vie tourne au rythme de Jérémy comme c’est avec les jeunes adolescents sans handicap dans la maison familiale. Certes, les soucis ne sont pas les mêmes ! En effet, avec sa taille d’adulte et son allure de jeune adolescent gentil, agréable et parfois surprenant par sa spontanéité et son côté parfois naïf. La gestion des émotions reste un souci majeur face aux troubles du comportement dans les situations d’imprévus même si ceux-ci sont en nette diminution par rapport à la période de l’enfance. A côté de ces côtés difficiles, nous sommes heureux de le voir rayonnant et de le savoir heureux dans sa vie d’adulte mais ce bonheur durera-t-il après nous ?

Et voilà, la question « Après nous, les parents » revient au centre des préoccupations avouées !

Jérémy est un brave garçon, serviable et de bonne humeur mais le long fleuve tranquille de la vie peut « s’emballer » pour nous rappeler le handicap présent. Être heureux, se sentir libre et se déplacer est « bon » pour lui mais les remarques désobligeantes de certains sont parfois présentes et certaines réflexions peuvent devenir un problème si nous ne les temporisons pas afin d’éviter des répercussions malheureuses.

Nous avons tant voulu son autonomie et son autodétermination que demain se posera la question de la possibilité de bénéficier de liberté de résidence, liberté d’activités, liberté de participer à des groupes, liberté de continuer sa vie avec tous les efforts consentis pour lui apporter une autonomie et une liberté de paroles … ?

« Penser à soi » : une belle phrase, pour certains pleine d’égoïsme, pour d’autres pleine de bon sens … mais dans tous les cas, à méditer.

L’activité socioprofessionnelle permet une forme de répit. Travailler n’est pas une question de revenus mais de l’aboutissement du développement personnel avec ses valeurs humaines, comme l’estime de soi. Le « travail » en SAJA s’est révélé indispensable pour l’équilibre de notre fils. C’est une alternative intéressante au travail rémunéré (Jérémy paye +/- 11 euros par jour pour y travailler et bénéficier d’un encadrement). Sans cette activité socioprofessionnelle, il serait probablement sujet à problèmes comportementaux engendrés par un manque de structuration du temps, une absence d’objectifs concrets et de relations sociales qui déboucheraient sur une médication dommageable à sa qualité de vie. De plus, son travail est utile pour la société et très bénéfique pour son bien-être et son état de santé général.

Un grand psychologue disait « L’enfer, ce sont les autres … » : une petite phrase résumant à elle seule l’ambigüité d’être un adulte avec un handicap mental et d’être autonome (même si il y a des limites). La société évolue et la personne handicapée prend peu à peu sa place mais est-ce la réalité pour toutes (différentes des autres mais aussi entre elles) ? Le grand public applaudit chaleureusement les réussites mais sa réaction est diamétralement différente dans les situations d’échecs où les conséquences sont souvent décrites comme découlant d’une faute avec une désignation subjective de coupables et des affirmations d’initiatives malencontreuses.

Le handicap mental fait malheureusement toujours « peur » et les troubles du comportement dérangent même si des stratégies existent pour les éviter ou diminuer leur incidence. Le handicap ne devrait plus être un problème actuellement grâce aux actions comme « CAP48 » et d’autres acteurs sociaux … Néanmoins, le fait d’une plus grande autonomie montre un comportement différent qui peut parfois être dérangeant et rendre difficile d’expliquer le besoin de tolérance si c’est le fait unique d’un jour ?


Vivre au quotidien
, c’est aussi vivre l’instant présent mais avec la crainte du futur !


Au fait, quel est-il ce futur ?

c  C’est la résidence effective : SRA (Service Résidentiel pour Adultes) ou une autre forme d’autonomie résidentielle qui est au centre des réflexions actuelles …

c  C’est l’activité professionnelle ou socioprofessionnelle : en insertion ou en SAJA ou sous un statut précaire dénommé « article 29 » (sans garantie d’emploi ?). Ce n’est pas la question de la rémunération qui est un souci pour notre fils, inscrit en « article 29 », pour qui la priorité est le besoin d’un encadrement. Toutefois, ce statut est vital et fait partie de ses besoins sociaux et humains indispensables à sa qualité de vie qui se concrétisent dans ce cadre sans notion de rendement ou de bénéfices mais plutôt de bien-être et d’épanouissement.

Si les mages peuvent voir le futur, pour les parents, c’est plus compliqué ! Nous espérons prévoir et envisager les mesures à prendre pour instaurer une stabilité dans sa vie. Nous savons que celle-ci ne se décrète pas, ne s’impose pas et qu’elle devrait être le fruit d’une volonté manifestée par un membre de la famille ou par une tierce personne. Beaucoup de questions et peu de réponses !

L’insertion socioprofessionnelle n’envoie pas en retraite les parents mais elle les encourage à accorder plus d’autonomie même si elle n’est pas encore acquise et que bien des choses restent à gérer. Au quotidien, nous ne devons plus habiller notre fils le matin mais bien superviser le choix des vêtements suivant les conditions climatiques ou la destination du jour. L’autonomie personnelle est différente et se construit par une guidance parfois simplement verbale. La structuration du temps offre un certain confort dans le déroulement de la semaine. L’autodétermination ne signifie pas un abandon de la responsabilité parentale mais une orientation vers une forme de partenariat où l’anticipation des évènements contribue à plus de liberté et peut parfois suggérer des alternatives intéressantes.


Au quotidien
, la nécessité de la présence permanente d’une personne de confiance (éducateur, parent, soeur, …) domine nos préoccupations parentales et limite notre liberté d’action. En période de congés, rien n’a changé pour notre fils, ni la fréquence des activités, ni le besoin de bouger (faire des courses, se promener, visiter, participer à des activités socioculturelles …). Ses congés ne sont pas les nôtres car nous aspirons à plus de calme et c’est là que définir son avenir sur le plan social est un vrai challenge comme celui d’exercer son statut de Citoyen.

Jean-Marc COMPERE

asbl X fragile – Europe

info@x-fragile.eu

Transitions et rythmes de la vie

 

Etant sœur d’un jeune adulte présentant le syndrome X-fragile (handicap mental d’origine génétique et héréditaire), je peux aisément vous dire que le mot changement se conjugue sans cesse au présent.

Comme précisé dans le titre, des moments charnières sont présents dans la vie de tout un chacun qui demande de se poser certaines questions, d’envisager la suite dans d’autres environnements, avec d’autres personnes …

Avec mon vécu au côté d’un frère présentant un handicap mental, j’ai l’impression que les changements peuvent surgir à tout instant, que rien n’est jamais acquis et qu’il est nécessaire de se battre constamment pour des choses qui devraient être acquises pour tout enfant de notre société.

Après la naissance de Jérémy, mon petit frère, la première transition était de trouver une gardienne (ONE) … Je me rappelle en avoir connu plusieurs. A chaque fois, pour mes parents, mon frère ou moi-même, ce changement de personne, d’habitude a été une source de stress : s’occupe-t-on bien de mon frère ? Va-t-il pouvoir rester chez cette personne ? Finalement, mon frère bénéficiera d’une période « pré-école » dans une crèche où tout s’est magnifiquement bien déroulé pour lui.

L’école est un des chapitres des plus compliqués à vivre. Un bonheur ou un malaise vécu par l’enfant dans les murs de l’école se répercute inévitablement à la maison. Les difficultés de Jérémy à exprimer ses émotions et son ressenti nous rendent tributaires du dialogue possible avec les enseignants. Malheureusement, à cette époque (entre 1995 et 2005), en fonction des écoles et des classes fréquentées, la communication n’était pas dans les habitudes et le Plan Individualisé d’Apprentissages (P.I.A.) n’existait pas.

Des épisodes du parcours scolaire nous ont donné peu de répit. Si certaines périodes ont été des moments heureux comme en maternelle et en primaire de l’enseignement spécialisé où l’enseignante montrait une approche positive et proposait des objectifs d’apprentissage avec un dialogue ouvert avec mes parents, d’autres furent une torture comme l’intégration scolaire en maternelle ou une première année primaire du spécialisé peu valorisante. Chaque transition ou passage a eu des effets sur le comportement de mon frère depuis le lever jusqu’au retour à la maison … S’il était bien, nous étions bien … et vice versa !

Parallèlement au cadre scolaire, le domaine des loisirs nous a montré que l’intégration reste parfois un vœu pieux. J’ai vécu des situations dénuées de sentiments d’humanité où la méchanceté dépasse les limites de l’acceptable et provoque des moments de révolte.

Un exemple pour démontrer une transition moralement inacceptable et difficilement explicable à mon frère qui participait avec assiduité à un cours de « Djembé » à la « Maison des jeunes » avec d’autres jeunes de la commune. Si tout semblait bien se passer pour Jérémy qui y prenait du plaisir, le directeur de cette maison des jeunes a contacté mes parents quelques mois plus tard en sommant mon frère de ne plus participer au cours ! Aucun événement ne s’était produit … la direction a motivé sa décision sur le fait qu’une famille a menacé de désinscrire son enfant si mon frère continuait à fréquenter les cours parce qu’il présentait un handicap mental. Comment préparer un enfant à l’inacceptable Comment en tant que sœur, accepter ce manque de considération d’un enfant à qui on ne peut adresser aucun reproche sinon celui d’exister et qui ne demande qu’à s’épanouir ?

Ces situations sont des sources d’inquiétude face aux changements où la transition est impossible à prévoir ! Même si des lois ont été créées pour protéger les plus « faibles » de discriminations, mon frère a fait les frais d’une société qui parfois n’est tolérante qu’en apparence.

Dans sa vie future, Jérémy devra apprendre à gérer des transitions parfois brutales. Comment anticiper ces passages ? En tant que sœur également, cette interrogation constante est pesante … on pourrait se demander : à quand le long fleuve tranquille ?

Mes parents et moi-même avons toujours voulu donner à Jérémy la vie la plus « normale » possible. Nous allons partout avec lui depuis tout petit, pour faciliter l’intégration au quotidien mais aussi faire face aux imprévus qui sont difficiles à gérer pour un enfant présentant un handicap mental. Cette conséquence du handicap est un facteur supplémentaire lorsque Jérémy doit faire face à une transition …

Son expériences « en société » lui a permis de faire beaucoup de progrès au niveau de la gestion des troubles du comportement notamment et cela, c’est une fameuse victoire et un signe d’encouragement pour une intégration dès le plus jeune âge.

Depuis deux ans, Jérémy est complètement sorti du monde scolaire. Inutile de dire que ce moment a été longtemps redouté … Que faire après ? Que peut-on mettre en place pour lui pour qu’il continue à s’épanouir au quotidien ?

Après quelques mois de transition, Jérémy a eu la grande chance de bénéficier d’une possibilité d’accueil à temps partiel dans un SAJA (Service d’Accueil de Jour pour Adultes). Ce fut une fameuse transition dans la vie de Jérémy mais grandement positive. Son éducateur référent a appris à le connaître, l’encourage à se dépasser et croit en lui ! Je pense que cette phrase résume le message que nous avons toujours voulu transmettre à mon frère et qui permet, au final, de sortir grandi des expériences et des transitions qui fondent sa vie.

Depuis quelques années, Jérémy fréquente le « Mouvement Personne d’Abord » (groupe de paroles de personnes présentant un handicap). Une transition de plus : il a un groupe-ressource, où il peut partager avec ses pairs, où il est entendu et respecté dans sa différence !

Une partie de son chemin de vie est déjà parcourue, faîte de déceptions et de victoires, d’échecs et de réussites, de désillusions et de grands espoirs … mais au bout du compte, quand on regarde dans le rétroviseur, quelle fierté d’avoir parcouru ce chemin à ses côtés, de voir là où il en est aujourd’hui et avec toute la détermination dont aujourd’hui il est capable !

Tout est possible ! Ne l’oubliez jamais et les personnes qui vous diront le contraire, laissez-le parler au bord de la route et continuez fièrement votre chemin … La victoire vous y attend J !

 

Jennifer COMPERE

Asbl X fragile – Europe

Groupe Frères et Soeurs

jennifer.compere@gmail.com